Infirmière libérale, je vous raconte ma mission en Hauts-de-France (2020)

Je suis infirmière libérale depuis quelques années et au détour d’une formation « soins d’urgence et de catastrophe », l’intervenant, un infirmier anesthésiste nous a passé une vidéo présentant la Réserve sanitaire. Conquise, je me suis immédiatement inscrite. C’était en décembre 2019.

La participation aux missions de la Réserve sanitaire est pour moi l’occasion de relever un nouveau challenge, de découvrir mon métier d’infirmière sous un autre angle ainsi que dans d’autres conditions de travail.

Lorsque l’alerte « Départ immédiat – Renfort du dispositif sanitaire des Hauts-de-France dans le cadre de cas groupés de Covid-19 » parait le 29 février 2020, je suis avec ma famille. Je ne leur en parle pas immédiatement car j’ai peur qu’ils ne comprennent pas mon envie de faire autre chose que mon cabinet.

« Je suis envahie par deux sentiments : l’excitation de découvrir l’univers de la Réserve sanitaire et l’appréhension d’être à la hauteur de ma mission »

Je me souviens très bien de l’appel de Nathalie, mon interlocutrice ce soir-là, c’était le 02 mars 2020. Je suis en pleine tournée accompagnée d’une étudiante infirmière. Nathalie m’apprend que je suis retenue pour cette mission. Je ferai partie des réservistes mobilisés au sein de dispensaires installés dans les établissements scolaires fermés. Nous assurerons des consultations pour les parents et enfants de ces mêmes établissements. D’autres réservistes sanitaires sont mobilisés à l’ARS Hauts-de-France et dans des centres hospitaliers.
Nathalie m’explique ensuite l’organisation de mon départ : billets de train, réservation de l’hôtel, etc. … pour le mercredi 04 mars (2020).  

Lorsque je raccroche je suis envahie par deux sentiments : l’excitation de découvrir l’univers de la Réserve sanitaire et l’appréhension d’être à la hauteur de ma mission. A ce moment, j’ai déjà, je crois, le sentiment que quelque chose de grave se passe dans notre pays.
A mon retour à la maison, j’annonce et explique mon départ pour cette mission particulière prévue pour le mercredi matin vers 9h. Mon mari n’est pas inquiet. Il me semble qu’il prend ça comme un départ en formation.

La journée du mardi passe à une vitesse incroyable, entre ma tournée d’infirmière libérale et mes transmissions à une de mes collègues pour les prochains jours. Je prends soin de tout mettre en ordre à mon cabinet et à la maison. Je ne laisse rien au hasard.  La nuit est courte et agitée, car habituée à orchestrer toute la maison, j’ai peur d’avoir oublié quelque chose.

Mercredi 04 mars (2020), je me lève vers 6h30, mon mari m’emmène à la gare qui est à proximité de chez nous. Me voilà partie pour une demi-journée de voyage : Bourgoing-Lyon, Lyon-Paris puis Paris-Creil et enfin Creil-Crépy-en-Valois. Comme à son habitude, le train est en retard sur Bourgoin, problème technique. Je finis par arriver en gare de Lyon Part Dieu au moment où ils annoncent le départ imminent du TGV à destination de Paris.  Je cours avec mes bagages et ne monte pas dans le bon wagon mais je réussis à l’avoir !

Pendant le trajet, je reçois un appel d’Olivia de la Réserve sanitaire, elle va me rejoindre à la gare à Paris pour me confier du matériel : un ordinateur pour un épidémiologiste ainsi que des badges et tenues pour tous les réservistes. J’espère que je vais réussir à la retrouver dans cette immense gare, moi qui suis déjà soulagée d’avoir trouvé ma correspondance entre les deux gares. Finalement, l’épreuve ne fut pas si compliquée.

« A peine mon gilet multipoche enfilé et mon badge accroché me voici en poste »

Une fois dans le dernier train, j’appelle Claude, référent de la mission, pour que quelqu’un vienne me chercher à la gare de Creil. Sur la route entre Creil et Crépy-en-Valois, je découvre cette région que je ne connais pas du tout. Le réfèrent, venu me récupérer lui-même, me fait un brief sur la situation locale et notre mission.

Il est 14h lorsque l’on arrive devant le lycée où une partie des réservistes sanitaires sera affectée. L’entrée est contrôlée par les gendarmes. Dans le grand hall un dispositif d’accueil est mis en place : élèves et parents peuvent être pris en charge à l’aide d’une liste établie par l’administration du lycée.

A peine mon gilet multipoche enfilé et mon badge accroché me voici, équipée d’un masque ffp2, en poste au côté d’une CPE du lycée. Nous prenons la température des élèves et de leurs accompagnants avant de les orienter vers une consultation médicale ou vers la « zone de prélèvement » où collaborent l’institut Pasteur, l’ARS et la Réserve sanitaire afin d’effectuer des prélèvements sanguins et nasopharyngés. Le tout est très bien organisé et les sens de circulation délimités au rubalise, travail effectué à l’arrivée des premiers réservistes.

A 19h : réunion pour tous les réservistes avec le proviseur, le réfèrent Claude, l’épidémiologiste Audrey et la responsable de l’équipe du laboratoire Pasteur. À ce moment-là, on nous informe de l’avancée des travaux sur la Covid-19 afin d’actualiser notre questionnaire pour l’identification des cas possibles. Il règne une tension incroyable, j’ai l’impression que dans cette région on se rend vraiment compte de ce qui va suivre.

Avant de rentrer à l’hôtel avec Rémy, un réserviste infirmier et Claude, le référent, nous faisons un détour afin de déposer du matériel (solution hydro alcooliques, masques et désinfectant de surfaces) dans la salle d’armes de la gendarmerie. Il est plus de 22h lorsque je me couche après cette première journée.

« Nous venons de toute la France avec un point commun : l’amour de notre métier. »

Le lendemain (jeudi 05 mars 2020), à 7h, mon réveil sonne : la même mission qu’hier nous attend. La journée passe vite. Chaque heure, de nouvelles personnes convoquées se présentent et nous les recevons au fur et à mesure. Le lycée nous fournit le repas du midi : un sandwich et un fruit.

A 19h, c’est à nouveau l’heure de notre réunion quotidienne. Pour la suite de la mission, nous serons dispatchés dans différents lieux. Je serai affectée au collège de Creil, d’autres au lycée de Nogent et d’autres resteront au lycée de Crépy-en-Valois.

Après cette réunion, nous sommes attendus pour partager un repas en compagnie de Catherine Lemorton, responsable de la Réserve sanitaire, venue soutenir « ses troupes » et Olivia, que j’avais déjà pu croiser à la gare pour le matériel.

Les autres soirs, nous dinerons tous ensemble. Je fais de belles rencontres. Patrick, ancien médecin militaire ayant servi en Afrique pendant près de 30 ans. Bruno, à qui l’on a fait découvrir une grande enseigne de fast-food un soir où nous avons fini tard. Mais aussi Marie-Hélène, Christophe, Claudine, Valérie, Brigitte et tant d’autres… Nous venons de toute la France avec un point commun : l’amour de notre métier. Certains se connaissent depuis un peu plus longtemps car ils étaient ensemble en mission il y a peu de temps : à l’Aéroport Charles De Gaulle, à Aix en Provence ou encore à Carry le Rouet.

Nous bénéficions d’un quartier libre de quelques heures le vendredi matin (06 mars 2020). L’occasion pour certains de se diriger vers la laverie et pour moi de faire un petit footing pendant une heure. Je découvre cette jolie ville pavillonnaire où tout est fermé, hormis quelques restaurants et boutiques qui appliquent des règles de distanciations strictes. La ville est « un cluster ».

L’après-midi, avec les autres réservistes de mon groupe, nous installons un circuit de dépistage et d’accueil pour les résidents de la ville de Creil au sein du collège. Nous sommes accueillis par 3 membres de la direction qui nous expliquent la situation :  la population est inquiète, les investigations à conduire nombreuses et le corps médical insuffisant.
Nous passons l’après-midi à réfléchir et installer un parcours balisé, respectant les consignes sanitaires, dans un établissement pas vraiment prévu pour cela. A ce moment-là, on ne sait pas grand-chose de ce nouveau virus et la tension autour de ce « cluster » est palpable. Une fois notre circuit en place, nous retournons au lycée pour aider les autres réservistes.

« La Réserve sanitaire m’a permis de découvrir mon métier dans une toute autre dimension et de m’épanouir professionnellement » 

Le soir, nous attendons Martine, une nouvelle référente venue pour aider Claude. Elle doit nous retrouver après une réunion avec l’ARS qui risque de finir tard dans la soirée. (C’est à ce moment-là que nous avons trouvé comme seule refuge ce fameux fast-food…) La mission se réorganise d’heure en heure. Martine nous informe du report de notre intervention au collège de Creil. Nous serons dès le lendemain dispatchés à nouveau entre les 2 lycées.

Ce jour-là (samedi 07 mars 2020), je fais partie du groupe de réservistes affectés au lycée de Nogent, qui s’étend sur 8 hectares à cheval sur 2 communes. Très rapidement, des personnes ayant appelé une permanence téléphonique pour signaler des symptômes se présentent pour des consultations. L’affluence est plutôt calme, à notre grande surprise.

Lors de notre traditionnelle réunion de 19h, Martine nous annonce que nous pourrons bénéficier d’un temps de récupération par demi groupe et demi-journée le lendemain.

Le dimanche (08 mars 2020),avec Charline, réserviste infirmière, nous nous rejoignons pour un footing dominical. Elle est infirmière libérale comme moi. C’est l’occasion pour nous d’échanger sur des problématiques et des expériences communes.

A 12h, nous rejoignons l’équipe du matin à Nogent, nous profitons de notre repas, gentiment préparé par la direction du lycée, pour nous faire des transmissions « matin-après-midi ». C’est aussi l’occasion de partager un repas réconfortant alors que nous sommes loin de nos familles.

L’après-midi fut très calme. Le soir, lors de la réunion, Martine nous apprendra la fin anticipée de cette mission dans les « dispensaires éphémères » installés dans les lycées et le collège. Certains réservistes seront redéployés sur des missions de renfort en établissements de santé en Hauts-de-France ou dans le Grand-Est. 

Lundi 09 mars (2020), je rentre dans ma campagne. J’avais demandé à ma famille de garder le secret de mon départ craignant toute polémique. Mon retour me parut un peu étrange, je me sentais en décalage avec les gens qui m’entouraient.

Plus tard, je partirai à nouveau renforcer un établissement de soins à Rambouillet en mai 2020. Puis au début de l’été au CH de Cayenne pour renfort en service COVID, où je retournerai une nouvelle fois à l’automne.

La Réserve sanitaire m’a permis de découvrir mon métier dans une toute autre dimension et de m’épanouir professionnellement. J’ai eu l’occasion de faire de belles rencontres. Dès que je le pourrai, je candidaterai à nouveau !                                                                                       

Annabelle, infirmière libérale et réserviste depuis 2019.

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