Nos premières heures de lutte contre la Covid-19 (partie 1)

19H30 – VENDREDI 24 JANVIER 2020

@Catherine, responsable de la Réserve sanitaire

Vers 19h30, au moment où je vais quitter le travail, la directrice de la Direction Alerte et Crise vient me trouver. Elle m’annonce que, suite à l’épidémie qui sévit dans la région de Wuhan et le confinement qui y est mis en place, le Ministère va sûrement faire appel à la Réserve sanitaire pour accueillir les passagers des vols en provenance de cette région.

A ce moment précis, l’épidémie reste localisée essentiellement à Wuhan. Il n’y a donc pas d’urgence à lancer l’alerte mais il faut que l’on s’y prépare pour le lundi.

Pour le week-end qui arrive, nous sommes deux à être d’astreinte : Olivia, qui assure le niveau un et moi pour le niveau 2. Nous nous quittons à 20h ce soir-là avec l’idée qu’une alerte pour une mission à l’aéroport risque de partir le lundi.

11H00 – SAMEDI 25 JANVIER 2020          

@Catherine, responsable de la Réserve sanitaire

Ce jour-là, je suis sur le stand de la Réserve sanitaire avec Alexandra (chargée de communication) pour faire connaître la Réserve sanitaire aux pédiatres venus assister au salon « Pédiatrie pratique ».

Nathalie, responsable de la cellule engagement, sur le stand de la Réserve sanitaire la veille du lancement de l’alerte (24/01/20)

Quelques instants après avoir installé le stand et son équipement, la directrice de la Direction Alerte et Crise m’appelle. Le Ministère souhaite que l’on déclenche l’alerte immédiatement pour que des réservistes soient à l’arrivée des vols dans la nuit du samedi au dimanche.

Toujours sur notre stand, nous allons commencer à préparer cette alerte. Il faut faire vite car plus nous retardons le lancement de l’alerte, plus le temps pour trouver des réservistes sera court.

A ce stade, nous connaissons les professions à mobiliser (4 médecins et 8 infirmier.es) mais nous ne savons pas encore ce qu’ils devront faire exactement. Nous commençons donc à rédiger l’alerte tout en attendant les précisions du Ministère quant au rôle des réservistes sur place afin qu’ils puissent savoir ce qu’ils devront faire si ils se portent volontaires.

Dans la journée, les informations vont nous arriver du Ministère. Les réservistes devront accueillir, informer et questionner les passagers sur leur état de santé. Ils devront être sur place dans la nuit qui suit, vers 3h ou 4h du matin. Vers 18h30, l’alerte est lancée.

18H30 – SAMEDI 25 JANVIER 2020

@Audrey, infirmière
Je suis en stage au bloc opératoire lorsque je reçois l’alerte. En repos ces jours-là, je me dis que je peux postuler. La mission porte sur une maladie dont on parle dans les médias. Je veux en savoir plus sur ce virus mais aussi apporter mon aide.  

@Fabienne, médecin
Habitant à Paris, je suis disponible, et capable d’aider. Les besoins de l’alerte correspondant à mes anciennes expériences professionnelles, j’y réponds favorablement sans hésiter.

@Gaëlle, infirmière
Je suis chez des amis lorsque l’alerte arrive. J’y répond favorablement car je suis déjà en région parisienne et que je peux me déplacer facilement. N’ayant jamais travaillé en dehors du cadre hospitalier, cette mission attise ma curiosité et puis je veux aider. S’il y a besoin de moi, je serai présente.

@Céline, médecin
Je suis en pleine préparation d’un « escape game » avec des amis quand l’alerte arrive dans ma boite mail. J’en discute un peu avec eux puis je postule.

@Catherine, responsable de la Réserve sanitaire
Les premières réponses arrivent assez rapidement, ce qui nous permet avec Olivia de mobiliser 5 réservistes le soir même puis 14 autres dès le lendemain.

22H00 – SAMEDI 25 JANVIER 2020

@Catherine, responsable de la Réserve sanitaire
Les premiers réservistes doivent être en poste au niveau des passerelles de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle à 4h30. Il faut vite étudier les réponses à l’alerte, les sélectionner, les contacter puis rapidement leur commander des taxis et préparer leurs équipements. Il faut aussi gérer les modalités pratiques : communiquer les pièces d’identité de chaque réserviste, définir un point de rendez-vous avec les équipes de l’aéroport, récupérer les horaires des vols, organiser des équipes pour se relayer, etc.

@Fabienne, médecin
A 22h, alors prête à aller me coucher et ne m’attendant pas à être appelée en urgence, mon téléphone sonne. C’est la Réserve Sanitaire ! On me demande d’être à l’aéroport pour 4h du matin afin de faire de l’accueil et de la prévention auprès des passagers.

@Audrey, infirmière
A 23h, Olivia m’appelle. Je me dis que si je suis appelée aussi tard, ce n’est pas pour rien. Il faut que je sois à l’aéroport dans 5h. Immédiatement je me demande comment m’y rendre, sans transport à cette heure-ci. Olivia me rassure, elle me commandera un taxi. Je préviens vite mes proches et me prépare.

Olivia, responsable de la cellule indemnisations et astreinte de niveau 1 les 25, 26 et 27 janvier 2020

@Céline, médecin
Je suis toujours en train de préparer cet « escape game » avec mes amis, j’ai quelque peu oublié l’alerte. Je reçois alors un appel de l’astreinte de la Réserve sanitaire (Olivia) m’informant que je suis retenue pour la mission.  Je passe rapidement par chez moi et préviens mes parents de mon départ en mission.

@Gaëlle, infirmière
Vers 23h, je reçois l’appel de la Réserve Sanitaire. On m’explique le contexte et le besoin. Il faut être sur place dans quelques heures. Bonne nouvelle, à la maison, j’ai déjà un uniforme d’une ancienne mission et mon badge de réserviste sanitaire. Dans le doute, je prépare aussi mon matériel personnel.  

00H00 – DIMANCHE 26 JANVIER 2020

@Catherine, responsable de la Réserve sanitaire
Une fois les réservistes contactés et les modalités pratiques définies, Olivia réserve les taxis et envoi le mail de début de mission comportant toutes les informations dont ils auront besoin pour se rendre sur le lieu de la mission et retrouver l’équipe.

@Gaëlle, infirmière
Je dors quelques heures. A mon réveil, j’ai reçu un mail m’indiquant la marche à suivre à mon arrivée à l’aéroport.

@Catherine, responsable de la Réserve sanitaire
Vers 3h du matin, Olivia se rend à l’aéroport pour rencontrer les partenaires, accueillir les réservistes et leur apporter l’équipement nécessaire.  

@Fabienne, médecin
Vers 3h30 je prends ma voiture, ma tenue de réserviste sanitaire, et arrive sur les lieux de la mission. A mon arrivée à l’aéroport, je me rends compte de quelque chose, même s’il est chauffé, le lieu est grand et il fait froid. Avec les autres réservistes, nous faisons connaissance, et faisons l’inventaire des équipes sur place : les médecins de l’aéroport Charles de Gaulle, la Protection civile, et la Croix rouge.

@Audrey, infirmière
A 3h30, après une courte nuit, le taxi m’attend devant chez moi. J’arrive à 4h, et rencontre les autres réservistes. Olivia nous retrouve sur place, et nous briefe sur la mission et sur ce que nous avions à faire. 
Au bout d’une demi-heure, nous sommes rejoints par la Croix Rouge puis par la Protection civile. Nous faisons la connaissance des équipes sur place, de l’équipe médicale de l’aéroport et de la police aux frontières qui va s’occuper de sécuriser notre mission et de la descente des passagers.

@Céline, médecin
A 3h30, le taxi m’attend à la porte. A peine arrivée, je suis accueillie par Olivia qui nous indique la marche à suivre. C’est un peu difficile, car nous ne sommes que 5 réservistes, et nous voyons des bastions de la Croix Rouge ou de la Protection civile. Il est 4h, et nous manquons cruellement de café !

@Gaëlle, infirmière
Je suis accueillie par la Police aux Frontières, et suis accompagnée vers les autres réservistes. Nous formons rapidement des binômes médecin/IDE pour maximiser notre efficacité dans les 3 aérogares.

@Audrey, infirmière
4h30, la mission commence !  Nous devons accueillir les passagers revenant de Chine via 3 aérogares différentes. Au total, ce sont 17 vols par jour qui arrivent à Paris à ce moment-là. Nous décidons de nous organiser en binôme : un médecin et un IDE afin de maximiser le soutien dans les aérogares.  

@Fabienne, médecin
Comme nous sommes 5 réservistes sanitaires, nous décidons de nous dispatcher en équipes de 2. Naturellement, je propose de m’occuper seule d’une aérogare puisque les autres équipes (Croix Rouge, Protection civile) présentes sur place pourraient travailler avec moi.

@Gaëlle, infirmière
Une fois dispatché dans les aérogares, chaque binôme veille à ce qu’aucun des passagers ne soient perdus et qu’ils puissent tous être pris en charge.  
La Croix Rouge distribue les flyers et discute avec les passagers. Nous nous occupons des personnes ayant des questions ou ayant besoin d’être vues par une équipe médicale. Avec mon binôme, nous avons aussi un paravent derrière lequel nous pouvions ausculter les passagers si besoin.  

@Céline, médecin
Nous devons repérer les arrivants qui pourraient être malades, donner des informations, et prendre la température de celles et ceux qui le demandaient. En somme, nous assurons principalement une sorte de présence rassurante pour les voyageurs.  
A cette époque, nous savions encore peu de choses sur ce virus, il était donc difficile de déterminer visuellement si quelqu’un présentait des symptômes de maladie. Certains symptômes portant à confusion, nous avons donc effectué des consultations pour d’autres maladies sans le vouloir.

8H00 – DIMANCHE 26 JANVIER 2020

@Catherine, responsable de la Réserve sanitaire
Ce n’est pas parce que la première équipe est sur place que notre travail s’arrête. Il faut continuer à sélectionner, contacter et organiser l’acheminement des 6 autres réservistes qui arriveront le soir même pour commencer leur mission à 4h mais aussi des 8 autres qui arriveront le lendemain pour un début de mission à 12h. Cette fois, il faut aussi leur réserver des billets des trains ainsi que des chambres d’hôtels car ils viennent de partout en France.

Nous devons aussi nous coordonner avec les partenaires (la préfecture, l’ARS Ile-de-France, les équipes de l’aéroport, la PAF, la Croix-Rouge, la Protection civile) pour pouvoir assurer toutes les rotations d’avions qui arrivent. Nous devons par exemple tenir compte des plannings des vols pour se projeter dans les jours qui suivent. C’est ce travail qui va nous permettre d’organiser des équipes de relève, ceux qui feront le matin, ceux qui feront l’après-midi et le soir.

@Audrey, infirmière
Après avoir accueilli les passagers de 8 vols en provenance de Chine, la première partie de la mission s’arrête vers 8h du matin. Les prochains vols n’arriveront qu’à 19h, nous pouvons donc aller nous reposer.

@Gaëlle, infirmière
J’ai eu le sentiment sur place que nous aurions pu faire plus, mais la maladie était nouvelle et nous étions la toute première rotation déployée. Par la suite les choses ont évolué.

@Audrey, infirmière
Le dispositif impressionnant mis en place par les différentes équipes sur place (réservistes, Croix-Rouge, Protection civile) a semblé avoir un effet rassurant pour les arrivants.
Nous avons vraiment pu aider les passagers et les rassurer quand il le fallait. Avec mon binôme, nous avions la chance de parler anglais couramment et cela a bien aidé pour outrepasser la barrière de langue.

@Céline, médecin
Pendant cette première nuit, notre présence en tant que réserviste sanitaire a été bénéfique pour ces passagers, puisque nous avons pu leur donner des informations, les soutenir et pour nous-même également, car sans le savoir à ce moment-là, nous nous préparions à l’épidémie qui arrivait.

@Fabienne, médecin
Le reste de la mission s’est très bien passé et pouvoir aider les plus fragiles est ce qui m’a le plus motivée. J’ai d’ailleurs accepté de continuer la mission sur la rotation suivante.  Mais ça c’est une autre histoire…

LUNDI 27 JANVIER 2020


@Catherine, responsable de la Réserve sanitaire
On s’organise rapidement sur une période de 15 jours pour couvrir l’arrivée des vols en provenance de Chine puis des zones à risque.

A ce stade, nous sommes dans la stratégie de la phase 1 c’est à dire empêcher le virus d’entrer sur le territoire.

On ne sait pas encore que ce virus va nous entrainer dans une pandémie mondiale. A ce moment là pour nous, c’est un épisode. Pour nous, ça ne va durer que quelques semaines. A ce moment-là, comme la plupart des spécialistes, nous n’imaginons pas que nous serons mobilisés pendant toute l’année à venir sur cette épidémie.

Avec Olivia, lorsque nous avons raconté notre week-end à nos collègues, nous étions loin d’imaginer que ce n’était que le premier récit d’une longue série…

Comme dans de nombreux domaines, on ne peut s’empêcher d’imaginer qu’il y aura un avant et après pour la Réserve sanitaire…

4 Comments

  1. Merci beaucoup de ce « retour en arrière ».
    Cela me touche particulièrement, car j’étais alors dans un des « tout premiers clusters », proviseur d’un établissement scolaire qui a été très touché, et je vois arriver avec trouble le premier anniversaire du 26 février 2020, date du premier décès identifié comme suite à cette pathologie…J’ai infiniment apprécié l’aide et le soutien de la Réserve sanitaire, de Martine, de tous…qui sont restés dans mon établissement de longues semaines, de longues soirées froides, après des journées plus que très éprouvantes, alors qu’ils étaient, pour la plupart, venus, initialement pour « quelques jours »…
    Quelle humanité ! Merci à vous, qui ne faiblissez jamais, qui vous relevez toujours, et qui êtes près de tous, de nous…

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